Que
cache la pyramide de Chéops ?
LEMONDE.FR | 17.09.04 | 17h49 . MIS A JOUR LE 17.09.04 |
17h57
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L'intégralité du débat avec l'égyptologue Jean-Pierre Corteggiani,
vendredi 17 septembre. M. Corteggiani est membre de l'Institut français
d'archéologie orientale (IFAO), au Caire.
Médiateur (pseudo) : Quelles sont, selon vous, les véritables
motivations du refus porté par les autorités égyptiennes à
l'encontre du projet, qui ne consistait qu'en une infime perforation
pariétale ?
Jean-Pierre Corteggiani : C'est évidemment aux autorités égyptiennes
qu'il faudrait poser la question. Ce qui me paraît curieux,
c'est l'aspect catégorique d'une réponse, alors que l'ouvrage vient
à peine de paraîtreet qu'il n'a pas été lu par la plupart des gens
qui en ont parlé jusqu'à maintenant. J'ajouterai que n'importe
quelle demande similaire ailleurs pour d'autres monuments n'aurait
probablement pas l'impact quecelle-ci, car il est évident que la
Grande Pyramide est le monument probablement le plus mythique de toute
l'Egypte, et même du monde. N'oublions pas que c'est la seule des
Sept Merveilles du monde qui est encore debout.
Garinol : Croyez-vous en la thèse d'une chambre secrète ?
Jean-Pierre Corteggiani : Je crois non pas en la thèse d'une chambre
secrète, mais plutôt d'une chambre inconnue, ce qui n'est pas tout
à fait la même chose. Et en fait, il ne s'agit pas d'une thèse. Je
m'explique : il estévident que la chambre du roi était destinée à
être la chambre funéraire de Chéops. Le sarcophage qui s'y trouve
le montre.
Ce qui est intéressant dans le travail de Dormion et Verd'hurt, c'est
que tout repose sur des observations que tout le monde peut faire mais
qui n'avaient pas été faites. Il est évident que la chambre du roi
a connu degros problèmes au moment de la construction. Les neuf
poutres de granit qui constituent le plafond de celle-ci sont toutes fêlées
côté sud, pratiquement contre le mur. On voit des failles assez
larges qui montent. On constate que ces poutres ont été étayées.
Il y a d'énormes traces d'étais qui sont probablement des poutres de
bois très grosses, car le plafond est à cinq
mètres du sol. C'est étayé des deux côtés : nord et sud.
Côté nord, il n'y a pas de faille visible. En revanche, quand on
monte au-dessus des dalles qui constituent le plafond, on s'aperçoit
qu'elles sont fêlées, cette fois-ci en faille descendante côté
nord, pratiquementcontre le mur nord. Or, puisqu'on a étayé des deux
côtés, cela veut dire qu'on savait que c'était cassé à cet
endroit-là. Par conséquent, cela prouve que l'accès à la chambre
de décharge qui se trouve en haut de la grande galerie,à plus de
sept mètres du palier sur lequel on se trouve quand on est à l'entrée
de la chambre royale, est nécessairement un accès antique. En un
mot, ce sont les constructeurs eux-mêmes qui sont allés vérifier l'état
des poutres. Car pour accéder à cette chambre de décharge, qui
normalement n'a pas d'accès ouvert, à 7,5 m de haut, dans la paroi
est de la grande galerie, il faut savoir où l'on va.
PEUT-ON "VOIR" À TRAVERS LES MURS DE CHÉOPS ?
Gégé : Ma question va peut-être vous paraître bête, mais n'a-t-on
pas les moyens technologiques, de nos jours, pour "voir à
travers les murs", sans avoir à faire de perforations ?
Luchon : N'est-il pas possible, avec la technologie moderne, de
"voir" à l'intérieur sans rien toucher ?
Jean-Pierre Corteggiani : C'est à peu près ce qui a été fait. Le géoradar
qui a été passé tous les 50 cm sur le sol de la "chambre de la
reine" indique, pour le spécialiste qui analyse les diagrammes
qu'il a sur son écran, la présence d'une structure - ce sont les
termes du spécialiste - à 3,5 m en dessous du sol, horizontale,
rectiligne, d'une largeur d'un petitpeu plus d'un mètre, ce qui peut
paraître bizarre, mais correspond à 2 coudées égyptiennes, c'est-à-dire
à peu près 52,5 cm. En français, une telle structure s'appelle un
"couloir". Cette structure se trouve être dans l'axe
est-ouest de la pyramide.
Médiateur : Vos arguments pour prouver l'emplacement semblent pléthoriques.
Sur quels points généraux sont-ils remis en question par les spécialistes
égyptiens ?
Jean-Pierre Corteggiani : Sur aucun précisément. Personne n'a fait
autre chose que dire que c'était des amateurs et qu'on ne voulait pas
en entendre parler. Il n'y a eu aucun débat. Je me suis trouvé ces
jours-ci opposé à des gens qui parlaient d'une façon catégorique
sans avoir lu le livre.
Amenardis : Comment expliquez-vous que les recherches de ces
architectes soient accueillies par de nombreux égyptologues comme des
"élucubrations" alors qu'il s'agit tout de même de
professionnels de la construction ?
Jean-Pierre Corteggiani : Je ne me l'explique pas autrement que par la
mauvaise foi de certains. Quand on juge qu'il s'agit de calembredaines
sans avoir lu le livre, je préfère entendre par exemple un de mes
collègues belges dire : "C'est limpide et définitif." Ou
un ami architecte, qui travaille en Egypte, qui m'a dit après avoir
lu le livre qu'il avait trouvé ça "éblouissant". Je
conseille à certains d'avoir l'honnêteté de parler en connaissance
de cause.
LES RÉTICENCES DES AUTORITÉS ÉGYPTIENNES
Curieuse : Peut-on supposer que les autorités égyptiennes veulent se
garder l'exclusivité d'une éventuelle grande découverte ?
Jean-Pierre Corteggiani : Question délicate. Il y a des intérêts
qui m'échappent un peu. J'espère que les choses pourront être
faites - pourquoi pas - en équipe, comme c'était le cas avant.
Gilles Dormion et Jean-Yves Verd'hurt ont trouvé des chambres de décharge
inconnues dans la pyramide de Meïdoum, alors qu'ils travaillent en équipe
et en collaboration avec les services des Antiquités égyptiennes.
Gégé
: Pourquoi le gouvernement égyptien n'a-t-il pas envie d'aller plus
loin dans cette investigation ?
Jean-Pierre Corteggiani : Je ne peux pas répondre à la place des
responsables égyptiens. Je me suis permis de signaler que l'annonce
d'une trouvaille importante dans la Grande Pyramide ne pourrait
qu'avoir des répercussions économiques importantes à travers le
tourisme.
Garinol : Si les amateurs sont déboutés, une équipe de spécialistes
peut-elle prendre le relais ?
Jean-Pierre Corteggiani : Il y a donc évidemment des questions de
personnes. D'abord, je récuse le terme "amateur". M.
Dormion est un architecte qui travaille depuis dix-huit ans. Par
ailleurs, il serait assez curieux de dire à quelqu'un : "Partez
d'ici, vous êtes un amateur, et moi je vais terminer ce que vous avez
trouvé."
QUE RESTE-T-IL À DÉCOUVRIR ?
Garinol : Concrètement, que reste-t-il à faire si l'on désire
percer un jour ce secret ?
Jean-Pierre Corteggiani : Il reste à faire deux forages de 1,5 cm de
diamètre dans un bouchon de plâtre, qui permettrait de passer une
fibre optique, comme on l'a fait à Meïdoum. Là où l'on a trouvé
des chambres de décharge il y a cinq ans, découverte pour laquelle
le secrétaire général des services à l'époque avait adressé des
félicitations. Et si cette fibre optique permettait de visualiser une
ou deux herses, cela voudrait dire qu'effectivement il y a un
appartement funéraire inconnu.
Jeeey : Qu'espérez-vous y trouver ?
Jean-Pierre Corteggiani : A priori, si le roi a été enterré là, il
y aura le roi lui-même et son matériel funéraire. Mais il est évidemment
impossible d'imaginer exactement ce qui pourrait s'y trouver, car on
n'a jamais rien trouvé de comparable. Il y aurait certainement des
choses qui pourraient être fabuleuses, car on connaît une partie du
mobilier funéraire de la mère de Chéops, et ce sont des choses
d'une éblouissante beauté. Un lit, des fauteuils, un baldaquin, le
tout plaqué d'or, une chaise à porteurs, de la vaisselle, des
bijoux... Et on pourrait espérer la présence de ce qu'on appelle les
"textes des pyramides" qui apparaissent sur les parois de la
tombe royale et qui, a priori, devaient déjà être à la disposition
des souverains à cette époque.
Rds : Pourquoi les pillards se seraient-ils arrêtés de chercher
s'ils avaient trouvé la chambre du roi vide, notamment sans la momie
?
Jean-Pierre Corteggiani : Tout simplement parce qu'il n'y a pas de
raison de chercher ailleurs. Le pillard a dû croire qu'il arrivait
dans un monument déjà pillé. Pillé probablement dès l'Antiquité.
On ne peut pas donner de date, et de toute façon le plus tardif
serait la percée d'El-Maamoun en 820.
Arty : Les architectes égyptiens avaient-ils l'"habitude"
de prévoir des chambres secrètes dans les bâtiments qu'ils érigeaient
?
Jean-Pierre Corteggiani : Je répète qu'il ne s'agit pas de chambre
secrète, mais éventuellement de chambre inconnue. A l'époque de Chéops,
il n'y a visiblement pas de leurre, on n'essaie pas de tromper, de
faire de faux cheminements pour d'éventuels pillards. Ce genre de
choses n'apparaît pas avant le Moyen Empire. Mais il y a quelque
chose d'important, qui va en l'occurrence dans le sens de quelque
chose de particulier dans la pyramide, c'est une tradition littéraire
égyptienne qui date du Moyen Empire (à peu près 500 ans après Chéops)
et qui montre le roi soucieux de faire dans son "éternité",
c'est-à-dire dans sa tombe, des choses spéciales que connaissait une
sorte de savant magicien que l'un de ses fils avait amené à la
cour pour distraire le roi, car le personnage en question était censé
connaître les "plans" du temple de Thot, le dieu de la
sagesse et de la connaissance. Cette tradition figure dans les
"Contes du papyrus Westcar". On y précise que le roi
passait son temps à chercher pour lui-même ces plans pour faire la même
chose dans son éternité.
Stardust : Donc, il n'y avait pas de préoccupations de
"secret" à la construction ?
Jean-Pierre Corteggiani : Quand on voit la pyramide, il n'y a pas nécessairement
de secret, mais l'idée de fermer pour l'éternité le monument. Si
l'on transpose cela aux tombes royales dans la Vallée des Rois, on
savait où elles étaient, mais elles étaient fermées pour l'éternité.
Rds : Avec les herses intactes menant à la chambre du roi intacte, et
sans conduit de voleur ? C'est ce qui me fait le plus douter de
l'existence d'une autre chambre funéraire. S'il y avait quelque chose
sous la chambre de la reine, je verrais plus un agencement
"solaire", comme on en trouve par la suite.
Jean-Pierre Corteggiani : D'abord, les herses ne sont pas intactes,
sinon on ne pourrait pas pénétrer dans la chambre du roi. Ensuite,
je vais reprendre une image que j'ai déjà donnée plusieurs fois :
la structure qui se trouve sous la chambre de la reine me paraît
incontestable, dans la mesure où le spécialiste qui dit qu'il y a là
un couloir travaille pour une société (la Safege) qui, depuis
plusieurs années, fait le tracé des TGV. Quand ce spécialiste dit
que le sol est fiable et qu'on peut mettre des rails où le TGV va
passer à 300 km/h avec des dizaines de personnes dedans, il vaut
mieux qu'il ait raison... Pourquoi aurait-il tort quand il vient faire
des mesures dans la Grande Pyramide ? Il n'y a là rien de solaire.
Rds : Je me demande juste si la structure sous la chambre dite
"de la reine" pouvait être autre chose qu'un couloir menant
à une chambre avec momie...
Jean-Pierre Corteggiani : Ce qui est important, c'est de voir que la
chambre de la reine à elle seule ne peut pas être une chambre funéraire.
Car elle n'a pas de herses. En revanche, elle comporte une niche à
encorbellement et un couloir de service de plus de 4 mètres de long
ouvrant dans cette niche, qui sont des éléments d'une architecture
plus complexe. La réponse, évidemment, sera donnée par la fibre
optique le jour où elle pourra passer. Si la herse est en place, ce
serait curieux qu'il n'y ait rien derrière. Même des magasins, ce
serait déjà extraordinaire. J'ajouterai quelque chose d'important :
l'analyse de mesures qui avaient été faites dès la fin des années
1980, et qui ont été publiées lors d'un colloque en Grèce,
concluait que les fissures de la chambre du roi s'expliquaient par
quelque chose qui était en dessous. C'est cosigné par un
universitaire égyptien.
Stardust : En dehors de ce cas précis, pensez-vous que des découvertes
spectaculaires (style Toutankhamon) sont encore à venir concernant
l'Egypte ancienne ?
Jean-Pierre Corteggiani : J'ai souvent dit que je pensais que l'Egypte
était inépuisable, et je pense qu'il y a encore place pour d'éventuelles
découvertes comparables à Toutankhamon. Certains souverains
"manquent à l'appel". Mais peut-être qu'un égyptologue préférerait
trouver des textes historiques. En janvier 1989, par exemple, on a
trouvé dans le sol du temple de Louxor plusieurs statues en très bon
état et un trésor d'époque romaine dans l'un des temples de l'oasis
de Kharga.
Champollion : Quelles conséquences aurait la découverte de la
chambre du roi sur l'égyptologie ?
Jean-Pierre Corteggiani : C'est difficile de répondre. Mais ce qui
serait le plus important, ce serait l'éventualité de textes ou d'éléments
dont on n'a pas d'exemplaire réel. Trouver un mobilier funéraire de
la IVe dynastie, ce serait magnifique. Pas seulement parce qu'il y
aurait de l'or.
Stardust : Finalement, à vous lire, n'y a-t-il pas une compétition
entre une archéologie plus spectaculaire, plus médiatique, et une
archéologie plusacadémique, avide de textes historiques et moins de
trésors et de momies ?
Jean-Pierre Corteggiani : On vit dans une époque médiatique, où
l'on voit bien que quand une chose se produit dans le monde, elle est
connue à l'autre bout de la planète une demi-heure après. Il faut
essayer de vivre avec la pression médiatique. C'est en même temps ce
qui permet de continuer à travailler. Il ne faut pas refuser son
plaisir devant l'éventualité d'une magnifique découverte.
Chat modéré par Vincent Fagot et Stéphane Mazzorato